Les rations « K »
By thanksGIspar Thomas B. TUCKER - 1998
Compagnie B, 7ème Bataillon du Génie
5ème Division d’Infanterie
Alors que vous vous trouvez dans votre foxhole, sous la pluie, la neige ou un soleil accablant, vous êtes vous souvent demandé pourquoi ces épouvantables rations K ont été ainsi nommées ? Qui a inventé cette drôle de petite boîte enduite de cire avec les mots » Ration K – un repas » imprimés dessus ?
Pour ceux d’entre vous qui ont perdu des heures de sommeil à se creuser la tête sur cette brûlante question, l’information top-secret a, après plus de 50 ans, été finalement dévoilée.
Il y a quelques mois, alors que je discutais avec mon très bon ami Jack Davis, qui est pharmacien à Easton en Pennsylvanie, le sujet des rations K est venu sur le tapis. Jack était infirmier avec la section d’armes lourdes, Compagnie D, 1er Bataillon, 10ème régiment, 5ème Division. Il m’a dit qu’il savait qui était responsable de la création des ces repas » pour gastronomes » et où il travaillait au moment où ils ont été développés.
Ils étaient le fruit du travail d’un professeur de physiologie qui faisait des recherches sur le lien entre la nutrition, le régime et les maladies de cœur. Ce professeur était aussi le directeur du laboratoire d’hygiène physiologique.
Le résultat d’une requête à l’université fut la réception d’une pile volumineuse de documents sur le sujet, provenant de Rose Hilk, la secrétaire du professeur. Cela faisait beaucoup trop d’informations à publier dans le » Red Diamond » (le journal de la 5ème Division). Après des heures de lecture, de réflexion et de compilation, il devint évident qu’un condensé de ces documents s’avérait impossible.
Cependant, parmi ces écrits, se trouvait un document sur ses recherches intitulé : » Rations pour les troupes aéroportées et autres troupes mobiles « . Il n’était pas daté, mais avait probablement été écrit autour de 1940. Ce qui suit est un condensé de ce document.
Le besoin de mobilité, à la fois pour les troupes et l’approvisionnement durant un assaut, aussi bien qu’en défense quand les hommes sont isolés, entraîne la nécessité d’une ration de campagne. Les approvisionnements en nourriture ordinaire ainsi que les cuisines de campagne étaient complètement inadaptés dans ces conditions. Les rations D étaient réservées uniquement aux urgences.
Un nouveau type de ration était nécessaire pour les troupes de combat au front et les équipages de bombardiers longue distance. Cette ration spéciale pour les troupes d’assaut mobiles devait les sustenter de un à quatre jours lors de n’importe quelle opération particulière. L’efficacité dans le combat est grandement diminuée sans un apport adapté de nourriture. L’incidence d’une semi-privation d’un jour seulement est considérable, le métabolisme du corps est tellement dérangé, qu’après cela, même un approvisionnement ultérieur de nourriture n’est pas assimilé de façon adéquate pendant quelque temps encore. La barre vitaminée D peut réellement aggraver ce dérangement.
L’exigence pour une ration de combat peut être résumée ainsi :
1. Une telle ration devrait être une ration de combat, pas uniquement réservée aux extrêmes urgences.
2. Elle doit être compacte et légère afin d’être disponible pour des troupes à tout moment.
3. Elle doit représenter un juste équilibre entre des aliments ne contenant pas trop de graisse et avec les protéines adaptées.
4. Elle doit contenir un total de calories suffisantes.
5. Ni cuisson, ni préparation spéciale ne doivent être requises pour sa consommation.
6. Elle doit contenir une quantité raisonnable de vitamines et de minéraux, notamment des vitamines A, C et B ainsi que du phosphore et du potassium.
7. Elle doit résister à des expositions prolongées dans des conditions climatiques extrêmes.
8. Elle ne doit pas perturber le transit intestinal ou modifier la chimie du corps.
9. Elle doit être de goût agréable et devrait pouvoir être savourée par les hommes non seulement lors d’un repas ponctuel, mais pour toute une série de repas.
Ce dernier point mérite un commentaire spécial :
Une ration qui ne sera pas mangée est pire qu’inutile ; l’efficacité dans le combat en est grandement réduite. La diversité est essentielle dans ces rations que ce soit au niveau de la consistance aussi bien que de la saveur.
Les tests en laboratoire et sur le terrain montrent qu’une ration quotidienne pour des troupes de combats doit contenir au moins 3220 calories.
Différents mélanges (appelés pemmicans -préparation à base de viande concentrée et séchée) furent essayés sur des troupes et des sujets rémunérés à cet effet.
Exemple pour un de ces mélanges : émincés de rognons braisés, huile de première qualité, raisins sans pépins, cacahuètes, farine de céréales, noix de coco râpée et sel.
Les biscuits ont également subi une série de modifications. L’introduction de bons produits carnés concentrés donne au biscuit une meilleure saveur.
La ration se compose comme suit :
Repas 1 – Biscuit spécial, pain de veau, tablette de farine lactée, café soluble et sucre.
Repas 2 – Biscuit spécial, préparation de jambon, tablettes de glucose, citron en poudre et sucre.
Repas 3 – Biscuit spécial, saucisse sèche, bouillon cube, barre vitaminée D.
Le rapport indique que ces rations pouvaient immédiatement être recommandées pour une utilisation sans risque à grande échelle.
Quelques modifications furent suggérées de remplacer le premier type de biscuit par un second, et un léger changement d’épices.
Le rapport parlait ensuite en détail de la méthode de tests qui ne sera pas expliquée ici autrement que pour dire que les hommes nourris avec ces rations étaient en meilleure forme à la fin du test que ceux qui en étaient restés aux rations de garnison. D’autre part, les troupes testées étaient de Fort Benning en Georgie et auraient pu avoir été sous le commandement du Général Ben » Yoo Hoo » Lear.
Le document sur ses recherches concluait que la ration en paquet de 3 repas procurerait 3600 calories par repas et que le poids de chaque repas serait de 11 ounces (311,85gr). Le rapport n’indiquait pas si ce poids incluait la boîte.
L’emballage était sous la responsabilité du Lieutenant Colonel Isker. La compagnie de chewing-gum Wrigleys de Chicago avait un contrat pour faire des milliers de rations K.
Un témoignage indirect intéressant est une note de l’épouse d’un vétéran 2ème guerre. Elle travaillait sur la chaîne d’assemblage des rations K chez Kellogs. Son travail était de mettre des paquets de papier toilette dans les boîtes. Elle et d’autres filles ont plusieurs fois demandé d’y inclure une note avec leur nom et adresse. Elle n’a jamais reçu de réponse.
Le professeur de physiologie et directeur du laboratoire d’hygiène physiologique de l’université du Minnesota qui a développé ces rations était le professeur Ancel Keys. D’où la lettre K pour KEYS : rations K.
Ancel Keys* est Professeur Emérite à l’université Ecole de Santé Publique. Il a 94 ans, mais continue toujours ses recherches, avec son épouse Margaret, sur le lien entre nutrition, régime, cholestérol et maladies de cœur. Lui et son épouse vivent et font leurs recherches en Italie pendant six mois, et le reste de l’année à l’université du Minnesota.
Ancel Keys a obtenu son doctorat en biologie et océanographie à l’université de Californie en 1930. Il a travaillé brièvement à la clinique Mayo avant de rejoindre la faculté de l’université du Minnesota en 1937. Il fut l’assistant spécial du Secrétaire de la Guerre pendant de nombreuses années. Ancel Keys était en couverture du Time Magazine du 13 janvier 1961. A son départ en retraite en 1971, le Doyen de l’Ecole Médicale de Dartmouth déclara : » Le travail et la pensée d’Ancel Keys sont entrés dans la vie de l’homme occidental, probablement plus que le travail et la pensée de n’importe quel autre homme de science contemporain « .
Donc, comme dirait Paul Harvey : » Et maintenant, vous connaissez toute l’histoire « .
Thomas B. TUCKER – 1998
Compagnie B, 7ème Bataillon du Génie
5ème Division d’Infanterie
* Né le 26 janvier 1904, Ancel Keys est décédé le 20 novembre 2004, deux mois avant son 101ème anniversaire.