LA TETE DE PONT DE DORNOT
By thanksGIs10 AU 16 SEPTEMBRE 1944
Alain GOZZO (Association THANKS GIs, Corny )
A voir aussi : LA TETE DE PONT EN IMAGES
Le 07 Septembre 1944 à midi, le général Leroy Irwin, Commandant la 5° Division d’infanterie américaine, reçoit l’ordre de tenter la traversée de la Moselle à Dornot. L’après-midi de cette même journée, le 11e Régiment d’infanterie US (faisant partie de la 5e Division), venant de Gorze, débouche sur les hauteurs surplombant Dornot. A la grande surprise de son commandant, le Colonel Yuill, la voie d’accès vers Dornot est déjà encombrée d’une multitude de véhicules, dont de nombreux éléments blindés de la 7e Armored US, qui ont eux aussi reçu l’ordre de passer à cet endroit. Une effroyable confusion suit, et c’est dans un chaos total que ces troupes atteignent Dornot et tentent de s’enfiler dans sa rue principale.
La physionomie du petit village à flanc de coteau a peu changé depuis la guerre et on peut facilement imaginer l’engorgement provoqué par des dizaines de véhicules et des centaines d’hommes tentant de descendre l’unique rue du village (les américains la surnommeront très vite » Rue de l’Enfer » tant elle fut pilonnée par l’artillerie ennemie). Bien sûr, les allemands, postés au sommet des collines de la rive opposée, ne perdent pas une miette du spectacle.
Le 07 au soir, l’ordre de traverser pour le 08 est confirmé. On ne sait pas encore à ce moment,, quelles unités doivent traverser, et les ordres de l’état-major restent flous et contradictoires…Infanterie et blindés devraient à priori traverser en même temps au même endroit, ce qui semble totalement impensable pour les officiers sur place, les possibilités de mouvement étant par trop réduites. Mais l’état-major persiste, envisageant même la construction rapide d’un pont métallique enjambant la voie de chemin de fer Metz-Paris, l’étang côté Dornot, puis la Moselle…Dornot et ses alentours étant régulièrement bombardés, cette possibilité sera très vite abandonnée.
La mission semble simple. Les troupes US devront traverser la Moselle en bateau, ayant préalablement enjambé la voie de chemin de fer (certains ont aussi emprunté plus tard le tunnel passant sous les voies situé au sud d’Ancy), puis contourné l’étang, l’objectif fixé étant le sommet des deux collines faisant face à Dornot, côté Corny. Ces deux mamelons sont couronnés par deux fortins, les forts St Blaise et Sommy, qui forment le groupe fortifié Verdun. L’armée américaine ne dispose alors que de cartes fort peu détaillées, du type Michelin Les forts figurent certes sur ces cartes, mais on ne sait pas à quoi ils ressemblent vraiment, ni quels sont leurs types de fortification, et, à plus forte raison, leur armement. Ils sont en outre excessivement bien camouflés et donc presque invisibles pour les observateurs américains de la rive gauche.
Sur la rive droite, côté Corny, les lieux n’ont aussi que très peu changé. Le débarquement doit s’opérer face à un petit bois longeant la rivière (connu par les habitants de Corny comme étant le bois du Chauffour, baptisé Bois du Fer à Cheval par les américains). Les troupes devront ensuite traverser la route nationale Metz-Nancy, puis monter à l’assaut des forts en escaladant les pentes des collines recouvertes de vergers et de bosquets.
Cette rive est défendue par diverses unités allemandes, entre autres le bataillon Voss, formé de soldats malades de l’estomac (QG à Corny), (ces soldats viennent en majorité du front russe. Une nourriture souvent gelée a entrâné de graves séquelles digestives. Ils ont donc été renvoyés à l’ouest en « convalescence » et ont intégré des bataillons spéciaux où une nourriture spécifique leur est donnée), le bataillon Berg, issu de l’école SS de transmissions (QG à Jouy-aux-Arches), plus quelques éléments de la 17e SS Panzer Grenadier (QG à Marly) qui prennent quelque repos dans le secteur.
Au matin du 08 Septembre, la situation à DORNOT est purement et simplement catastrophique. La rue principale est engorgée de véhicules, de fantassins et de matériel, le village est pris sous le feu ennemi, et la pluie tombe sans discontinuer de façon assez considérable.
Les ordres restent confus et contradictoires, et nul ne semble vraiment savoir qui commande cette opération. Le Général de Brigade Thomson, en tant qu’officier le plus gradé du secteur, tente de reprendre la situation en main. On lui reprochera quelques jours plus tard l’échec de l’établissement de la tête de pont, et il sera relevé de son commandement et dégradé. Cette injustice notoire sera heureusement réparée en 1948, année où Thomson sera lavé de tout soupçon et réintégré à son grade initial. L’US Army établira alors qu’en l’état d’ordres très contradictoires et non concertés venant de l’état-major, le Général Thomson avait fait de son mieux pour faire progresser la situation à Dornot.
Les américains ne comptant plus sur l’effet de surprise, la traversée est donc définitivement programmée en plein jour, dans la matinée du 08 Septembre . Les forces américaines finalement choisies pour l’établissement de la tête de pont sur la rive droite sont le 2e bataillon du lle régiment d’infanterie, des éléments du 23 bataillon blindé d’infanterie, les compagnies I et K du 2e régiment plus la compagnie C du 7e bataillon du génie qui assure les transits sur la Moselle.
A cause de l’encombrement des accès, mais aussi d’un problème de logistique, très peu de barques sont disponibles pour la traversée. A 11 h. 15, celle-ci débute enfin, emmenant dans cinq bateaux d’assaut les éléments de la compagnie F, 11 e régiment, conduits par le lieutenant Drake. Au fil du franchissement, plusieurs barques sont touchées et sombrent corps et biens dans la Moselle.Finalement, en début d’après-midi, au prix de lourdes pertes, plusieurs compagnies ont pu atteindre la rive droite.
Elles sont à ce moment précis, les troupes américaines les plus proches de la frontière allemande. Les GIs prennent donc possession du Bois du Fer à Cheval, à l’extrême nord du ban de Corny, et y établissent la tête de pont. Le passage de la route nationale et la montée vers les forts peuvent alors commencer à s’effectuer.
Etonnamment, les mouvements vers les forts se font relativement sans encombre l’histoire nous apprendra d’ailleurs par la suite que les dits forts étaient quasiment vides de tout soldat allemand). Arrivés à quelques dizaines de mètres des fortifications, l’ennemi n’a toujours pas fait feu. Le lieutenant Drake avise alors un blessé allemand couché à terre. Il se penche pour l’interroger, et est mortellement blessé en se relevant d’une balle entre les deux yeux. Un tireur d’élite allemand embusqué avait fait son office. Un moment de panique s’ensuit… On ne retrouvera ni le blessé, ni le sniper… (Les allemands étaient coutumiers de ce genre de ruse)
Arrivés au pied du St Blaise, les américains découvrent un site imprenable. Réseau de barbelés, immense fossé, palissade d’acier, tout est là pour interdire le passage à des fantassins pas du tout équipés pour ce genre d’exercice. Le capitaine Church donne donc l’ordre de repli, et commande un tir d’artillerie des hauteurs de Dornot. Mais les premiers obus tombent trop court et plusieurs GIs succombent sous leur propre feu….
C’est à ce même moment que les allemands déclenchent leur propre offensive. Leur artillerie vise juste, décimant les troupes U.S., et leur infanterie tente un mouvement en tenaille autour des unités américaines. De peur d’être coupé des troupes restées dans le Bois du Fer à Cheval, le capitaine Church ordonne la retraite générale. C’est en fait la débandade, chaque GI essayant par tous les moyens d’atteindre le bois sain et sauf.
Les pentes de la colline sont devenues un enfer, la traversée de la route nationale, balayée par les armes automatiques, un piège mortel. Certains mettront plusieurs heures à rejoindre le bois, d’autres n’y seront de retour que le lendemain matin. Beaucoup sont restés sans vie sur les pentes des collines.
Les survivants se retrouvent dans le petit bois, établissant la fameuse ligne défensive en forme de fer à cheval, d’où le nom donné au bois par les américains. C’est ainsi que commence pour eux la véritable et dramatique histoire de la tête de pont de Dornot. Ces hommes vont en effet passer une soixantaine d’heures dans le bois, subissant, terrés dans leurs trous individuels, un bombardement intense et ininterrompu, tenant de repousser d’incessantes vagues d’assaut perpétrés par des allemands fanatiques, essayant simplement de survivre. Les actes d’héroïsme sont nombreux, les morts se comptent par dizaines, les infirmiers sont appelés partout et à tout moment pour apporter de l’aide. Aux nombreux blessés,les abris fournis par les trous et la végétation s’avèrent bien dérisoires face au déluge de fer et de feu.
Du 8 au soir jusqu’au 10 au crépuscule, les hommes du bois se battent, s’épuisent, sans pouvoir dormir, jusqu’à leur dernier souffle….Les officiers tombent presque tous sous les balles allemandes, exposés qu’ils sont de courir de trou en trou pour transmettre les ordres et soutenir le moral des troupes. Certaines unités n’ont d’ailleurs plus d’officier pour les commander et c’est au plus gradé des survivants d’assumer la fonction de commandement.
Rendons aussi hommage aux infirmiers américains qui sans armes, payèrent un lourd tribut à l’établissement de cette tête de pont, et aux hommes du génie qui, sans trêve, traversèrent et retraversèrent jour et nuit la Moselle pour ramener les blessés à Dornot, et remmener vivres et munitions dans le bois.
Sur la rive gauche, dans Dornot même, le Lieutenant Colonel Lemmon, commandant le 2e Bataillon qui est dans le bois, fulmine. I1 a déjà à plusieurs reprises voulu rejoindre ses hommes sur la rive droite, mais l’état major le lui a formellement interdit. Comme le Colonel Yuill, il était contre une traversée à cet endroit, mais les ordres sont les ordres En tout cas, pris lui aussi sous une pluie incessante de projectiles ennemis l’obligeant à changer plusieurs fois son P.C. de maison, il lutte intensément pour un repli. Cet officier, sorti de West-Point, est empreint d’une profonde humanité. I1 est certes soldat, mais ne supporte pas les sacrifices inutiles. Savoir que ces jeunes GIs sous ses ordres risquent de mourir les uns après les autres sur ce petit bout de terre de 20 000 mètres carrés le fait bouillir de rage.
Il a, avec Yuill, demandé plusieurs fois l’aviation, rien n’y a fait. Aucun renfort n’est prévu. On dit juste en haut lieu que cette bon sang de tête de pont doit tenir. Pour ces décideurs, le 2e bataillon est déjà sacrifié, rayé des effectifs !..Finalement, le 10 septembre, des informations optimistes arrivent. Elles concernent l’établissement d’une nouvelle tête de pont située plus au sud, à Arnaville, qui semble se concrétiser. L’utilité stratégique de Dornot devient quasiment nulle. Plus question de tenir les positions du bois, encore moins d’établir un quelconque passage d’une rive à l’autre de la rivière. Les troupes vont donc pouvoir se replier. Facile à dire, la Moselle est haute, le courant fort, l’eau est froide. L’artillerie allemande pilonne toujours le site, et les tirs venant de l’est sont renforcés par ceux du fort Driant, ouvrage surplombant la Moselle au sud d’Ars et dont quelques tourelles, armées de canons de forts calibres, ont une vue imprenable sur le passage emprunté par les américains.
Un nouveau calvaire commence donc. Tout l’équipement doit être jeté à la Moselle. On dispose toujours de très peu de barques; elles seront en priorité réservées aux blessés. Beaucoup d’hommes ne savent pas nager. Ils devront soit attendre leur tour pour embarquer, soit tenter une traversée accrochés à une corde reliant les deux rives. Certains tenteront l’aventure en s’agrippant à des jerrycans vides Là aussi, les actes de bravoure sont légion, certains bons nageurs n’hésitant pas à faire plusieurs aller-retour pour ramener leurs camarades sur la rive gauche.
Des barques sont coulées avec leurs équipages, des hommes se noient, victimes du courant ou de leur inexpérience. Certains arrivent quasiment nus et grelottant sur l’autre berge. Beaucoup d’entre eux reposent encore au fond de la Moselle, comme d’autres sont pour toujours dans les entrailles du bois…Ce sont les portés disparus de l’opération, ceux dont les noms sont écrits sur un mur du cimetière américain de St Avold, mais dont les corps sont à jamais enfouis dans notre terre de Corny, ou immergés dans le lit de notre belle Moselle.
L’établissement de la tête de pont de Dornot coûta aux américains 945 hommes, tuées, blessés ou portés disparus… Tout cela pour des ordres donnés en dépit du bon sens par des élites ne s’étant jamais déplacées pour étudier le terrain, et ayant fait preuve d’un optimisme hors du commun. Ajoutons à cela des problèmes de communication notoires, et une improvisation incroyable en temps de guerre. Çà n’est pas moi, l’auteur, qui juge cet épisode par des mots durs et tranchants ! Je ne saurais me le permettre. C’est l’armée américaine elle même, qui, dans ses livres d’histoire, porte un jugement sans appel sur cette tragique histoire.
Les remords sont certes toujours bienvenus, mais ils ont un goût amer lorsque tant d’hommes ont péri. Le 11 septembre 1944, le 2e bataillon du llème régiment d’infanterie US a virtuellement cessé d’exister. Seuls quelques survivants témoigneront …
A.G.